Définitions

Les éléments traces sont des éléments chimiques de la famille des métaux et métalloïdes. Ceux dont la densité est > 5 g/cm3 sont appelés métaux lourds. Ces éléments sont présents dans l’environnement à des concentrations normalement faibles inférieures à 100 mg/kg (notion de ‘traces’). La notion de contaminant est liée à une altération de la qualité du milieu, notamment en lien avec un risque pour les organismes vivants. La notion de pollution est quant à elle plutôt employée lorsque les effets délétères sont avérés.

Les ET comprennent les oligoéléments essentiels aux organismes vivants (Cu, Fe, Mo, Zn, Mn, etc.) et des éléments non-essentiels sans fonction biologique confirmée (Pb, Cd, …). Les ET non-essentiels sont toxiques pour des niveaux d’accumulation bien inférieurs à ceux des oligoéléments. Par exemple, en moyenne, à partir d’environ 10 mg Cd/ kg de matière sèche, une plante verra sa croissance fortement impactée avec des signes visibles de toxicité (nécrose). Pour observer les même effets pour le zinc, il faudra des teneurs de l’ordre de plus de 150 mg Zn/kg (Macnicol et Beckett, 1985). Les oligoéléments peuvent eux aussi devenir toxiques. L’exemple le plus significatif en agriculture est l’excès dans les sols de cuivre issus des traitements phytosanitaires (fongicides à base de cuivre comme la bouillie Bordelaise). Des cas de toxicité du cuivre sur céréales implantés sur d’anciens sols de viticulture ont ainsi été observés dans le sud-est de la France. Certaines espèces de plantes dite hyperaccumulatrices peuvent accumuler dans leur tissus aériens des quantités très élevées jusqu’à des teneurs de 1% (Rascio et Navari-Izzo, 2011).

Teneurs dans les sols Français

Origines des ET des sols

Les ET sont naturels et sont issus de la formation de la terre. Dans les sols, ils proviennent :

  • du processus de formation des sols (pédogénèse) par altération des roches mères et par sédimentation: c’est le fond pédogéochimique
  • des apports par:
  • retombées atmosphériques d’ET liées au volcanisme aux activités industrielles, poussières d’érosion éolienne
  • les intrants agricoles (fertilisants, amendements, traitements phytosanitaires) où ils sont la matière active (cuivre) ou des contaminants (cadmium, arsenic, plomb)
  • diverses sources d’origines anthropiques (déchets industriels dont ceux des exploitations minières, émissions liées aux transports, etc.)

La figure 1 illustre l’importance relative des différentes sources d’ET entrant dans les sols agricoles français, montrant que les sources majeurs diffèrent suivant les éléments. On retrouve l’importance des engrais phosphatés pour le Cd et les traitements phytosanitaires de type bouillie Bordelaise pour le Cu. Les déjections animales sont une source importante pour beaucoup d’ET.

Le transfert sol-plante des ET et les enjeux agronomiques

La plante absorbe les ET généralement sous la forme d’ion libre (Cd2+, Pb2+, Ni2+, etc..), dont la concentration à la racine est régie par de nombreux mécanismes en interaction, qui sont les mêmes pour les contaminants et les oligoéléments. Ces mécanismes sont: le transport vers la racine par diffusion et advection avec l’eau absorbée par la plante, la complexation des ET en solution avec des ligands organiques ou inorganiques, la sorption sur la phase solide avec des énergies de liaison variables, la précipitation/dissolution, l’oxydoréduction (Figure). L’humidité du sol, sa teneur en argiles, limons et oxyhydroxydes de fer, d’aluminium, de manganèse, sa teneur en matière organique, la nature de cette dernière et la présence de cations compétiteurs dont le proton (pH) sont les facteurs majeurs influant la disponibilité des ET. La teneur totale d’un sol en ET n’est donc généralement pas suffisante pour prédire la biodisponibilité qui est un phénomène complexe. La grande majorité de l’absorption des ET par les plantes se fait par le système racinaire. L’absorption foliaire est limitée sauf en cas de fertilisation foliaire. L’absorption racinaire des ET peut être passive mais la majorité est assurée par des canaux ou transporteurs cellulaires dont le manque de spécificité conduit à ce que les contaminants soient également absorbés (Clemens et Ma, 2016). Une fois dans la plante les ET circulent dans la sève brute par la transpiration et dans la sève élaborée avec les photoassimilats. Un certains nombre de transporteurs de métaux régissent l’homéostasie des ET dans les différents tissus de la plante en fonction des besoins physiologiques pour les oligo-éléments. A nouveau, le manque de spécificité des transporteurs contribue à distribuer les contaminants dans toute la plante mais des mécanismes de régulation assurent de les tenir en grande partie à l’écart des compartiments sensibles notamment par séquestration dans les vacuoles. Les racines sont un organes important de séquestration expliquant que les teneurs des contaminants et de certains oligoéléments suivent généralement une hiérarchie racines>feuilles+tiges>fruit, graines (Clemens, 2019).





Les contaminants se retrouvent donc dans les organes consommés et l’enjeu agronomique est de réduire ces teneurs sans pénaliser la nutrition de la culture pour les oligo-éléments. Pour cela, on peut agir sur la disponibilité des ET dans le sol et sur le végétal. L’action sur le sol est limitée car les ET ne se dégradent pas (ce sont des éléments chimiques et non des molécules), et il est difficile d’appauvrir rapidement un sol en ET pour le décontaminer. Il faut donc intervenir sur la disponibilité en surveillant la qualité des intrants et en surveillant la variable la plus importante, le pH, qui doit être neutre à légèrement alcalin et surtout pas en dessous de 6.5. On le corrigera donc et on évitera les engrais acidifiants, comme les engrais ammoniacaux. On peut aussi apporter de la matière organique qui complexent les ET mais son effet dépend de sa nature et est plus difficile à prévoir (McLaughlin et al., 1999).

Les leviers d’actions sur le sol sont donc limités et le levier le plus facile est d’intervenir sur le végétal en évitant de cultiver sur un sol à risque, des espèces végétales et des variétés qui ont un fort potentiel d’accumulation des ET contaminants. Pour une disponibilité du sol en ET donnée, l’accumulation dans la plante dépend de l’espèce et du cultivar (variété). Par exemple, au niveau de l’espèce, Broadley et al. (2001) a établi le classement suivant pour la teneur moyenne en Cd des parties aériennes (feuilles + tiges) : avoine = pois < soja < blé tendre = carotte < tomate = maïs < radis < colza < épinards < tabac < blé dur. Au sein des céréales, le blé dur est l’espèce la plus accumulatrice de Cd. Au sein du blé dur, les différences d’accumulation du Cd sont par exemple d’un facteur 2 à 3.

Contamination des cultures alimentaires par les ET: l’exemple du cadmium et du blé dur

Le cadmium (Cd) est un élément présent généralement à l’état de trace dans l’environnement. Non essentiel à la vie, il est extrêmement toxique et est classé cancérigène. Le Cd est faiblement éliminé par le corps et il s’accumule dans les reins, le foie. Pour l’Homme, une exposition chronique à de faibles doses peut conduire à des pathologies rénales et osseuses. Récemment, une étude nationale conduite par Santé Publique France a montré que la population Française présentait un taux d’imprégnation au cadmium en augmentation et souvent supérieure aux valeurs de référence pour le risque toxicologique (Oleko et al., 2021). Chez l’Homme, après le tabagisme, la principale voie d’exposition est l’alimentation (Alexander et al., 2009).





De précédentes études européennes avaient également alerté sur la nécessité de réduire l’exposition des populations aux Cd. En 2009 : l’agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) recommande d’abaisser la dose hebdomadaire tolérable (DHT) d’exposition au Cd par voie alimentaire de 7 à 2.5 µg Cd/kg de poids corporel (Efsa, 2011). La dernière étude de l’alimentation totale en France conduite par l’Anses (EAT2) souligne que parmi les principaux contributeurs à l’exposition alimentaire au Cd figure les produits céréaliers et c’est encore plus vrai pour l’alimentation des nourrissons (Anses, 2011). Comme toutes les plantes, le blé dur absorbe le Cd du sol par ses racines, contaminant ainsi les grains qui servent à confectionner les quelques 9 kg de pâtes et semoules que nous consommons en moyenne annuellement (Figure).

Dans ce contexte, le règlement européen EC1881/2006 fixant la teneur maximale de certains aliments en contaminants minéraux dont le Cd a fait l’objet de plusieurs projets de révision vers des seuils plus bas, notamment pour le blé dur qui accumule plus fortement le Cd que le blé tendre. Le seuil en vigueur de 0.2 mg Cd/kg blé dur aurait dû être ainsi abaissé à 0.1 mg/kg. Les travaux que nous avons conduits avec Arvalis-Institut du Végétal montrent que plus de 20% des parcelles en blé dur n’auraient pas été conformes. Face à cette menace pour la filière, de nouvelles discussions ont aboutis à des propositions de seuils de 0.15 (8% de taux de rejets) puis 0.175 mg/kg (5.4% de rejets). En 2014, le projet de révision du seuil pour le blé dur avait été abandonné au profit de recommandations pour diminuer la contamination. Mais en août 2021, le seuil est finalement abaissé de 0.2 à 0.18 mg/kg (EC1323/2021). Il est alors estimé qu’en moyenne, environ 5% des parcelles de blé dur françaises seraient non-conformes, avec des taux plus élevés qui pourraient atteindre 15-20% dans certains départements ou la biodisponibilité du Cd dans les sols est plus importante (Figure 5).





Au Canada, premier producteur mondial de blé dur, lorsque les discussions sur les réglementations de teneur en Cd du blé ont été engagées dans les années 90, un programme de sélection variétale a été conduit pour produire des variétés peu accumulatrices. Il a été ainsi identifié un gène Cdu1 qui favorise la séquestration du Cd dans les racines et qui réduit d’un facteur de 2 à 3 l’allocation du Cd aux parties aériennes et donc aux grains (Grant et al., 2008; Maccaferri et al., 2019).